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univers-soufi

Rûmi, sa vie et ses oeuvres - Eva de Vitray (partie I)

10 Février 2017 , Rédigé par Ladji Publié dans #soufisme

Ô soleil de Tabriz !

J'étais neige, à tes rayons je fondis,

la terre me but.

Brouillard d'esprit,

je remonte vers le Soleil.

Ces vers de Rûmî, le plus grand poète mystique de l'Islam, sont dédiés à la mémoire de celui qui fut son maître spirituel, dont le nom

- Shams - signifie soleil en persan.

Djalâl-od-Dîn - Rûmi naquit en 1207 à Balkh et mourut le 17 décembre 1273 à Konya en Turquie. Dans sa province d'origine, le Khorossan, berceau de la civilisation persane, sa famille était très respectée. Son père, Bahâ-od - Dîn Valad, éminent prédicateur et théologien, était surnommé Sultân-ul -' ulamâ (sultan des savants).

Par crainte de l'invasion mongole menaçante, ils durent quitter précipitamment Balkh en 1219 pour la Mecque afin d'y accomplir un pèlerinage. A Nishâpur, ils rencontrèrent le grand poète mystique Farid-od-Dîn 'Attar; celui-ci offrit au jeune Djalâl-od-Dîn son Livre des Secrets et lui prédit, à ce qu'on rapporte, que bientôt il mettrait le feu dans le coeur de tous les amants mystiques. Djalâl-od-Dîn conserva toujours une grande admiration pour 'Attar : " Il a, disait-il, parcouru les sept cités de l'Amour, tandis que j'en suis toujours au tournant d'une ruelle."

Lorsqu'il arriva à Damas, tout enfant, avec son père, on raconte que Ibn-ul' Arabi, un des plus grands penseurs mystiques de l'Islam, voyant le petit Djalâl-od-Dîn marcher derrière Bahâ-od-Dîn, se serait écrié: " Louanges à Dieu ! Un océan marche derrière un lac ! " Rûmi racontera plus tard: " J'avais cinq ans lorsque mes passions moururent."

Le titre de Mawlânâ (notre maître), qui lui resta, lui fut donné tout enfant par son père qui reconnut sa sainteté précoce. Dès son plus jeune âge, il jeûnait et priait assidûment. Un jour, à l'âge de sept ans, Rûmi, pendant la prière du matin, lisait le chapitre du Coran commençant par ces mots : " Certes, nous t'avons donné le Kawthar... " " Je pleurais, raconte-t-il, lorsque tout à coup Dieu, dans Sa miséricorde infinie, Se révéla à moi, de sorte que je tombai évanoui. Quand je revins à moi, j'entendis une voix mystérieuse qui disait: " Ô Djalâl-od-Dîn ! Par les droits de Notre splendeur, Je t'ordonne de ne plus dorénavant faire  d'effort, car Nous avons fait de toi un lieu de contemplation". En remerciement de cette faveur, je rends des services et m'efforce d'accomplir cette parole du Coran: " Ne serai-je donc point un serviteur reconnaissant ?" dans l'espoir de faire atteindre à mes compagnons la perfection de l'extase."

Lorsque Djalâl-od-Dîn eut atteint l'âge de la puberté, on lui fit épouser la fille du Hodja Cherfi-od-Dîn Lala de Samakand d'une grande beauté qui s'appelait Gauber-Khâtoun. Elle lui donna deux enfants: 'Alâ-od-Dîn Tchelebi et Sultân Valad.

Ce dernier fut bien plus que le fils aîné de Rûmî; il en fut le plus proche disciple et son plus cher confident. Enfant, il dormait constamment dans les bras de son père. Dès l'âge de six ans, il assistait à ses côtés aux assemblées. Rempli d'humilité à l'égard des amis de son père, il avait parcouru à pied la route de Damas à Konya au côté de Shams de Tabrîz, monté à cheval. Il était allé chercher Shams en Syrie car Rûmî se désolait du départ de son maître. Lorsqu'on désirait obtenir une faveur, un renseignement, on le prenait pour intercesseur.

Nul mieux que Sultân Valad ne pouvait transmettre l'esprit, l'essence même de cet enseignement qu'il avait lui même reçu. C'est lui qui fut le véritable organisateur de la tarîqa Mawlawîya fondée par son père en Turquie.

Grâce à l'influence de Rûmî et de sa confrérie, Konya fut un centre d'intense ferveur religieuse et l'est resté. Il y régnait une admirable tolérance, à telle enseigne qu'au XIIème siècle, un chrétien, Théodore Balsamon, affirmait qu'il valait mieux se soumettre aux Turcs, qui respectaient les âmes des hommes, qu'aux Francs, qui les menaçaient.

Le coeur de Konya, c'est, bien entendu, le mausolée de Mawlânâ Djalâl-od-Dîn Rûmî. Sous sa coupole, le "dôme vert", de forme conique, qui semble éclairer toute la cité de son doux éclat, reposent les corps du Maître de Konya et de sa famille. Sur son tombeau est posée une somptueuse couverture dont les broderies d'or retracent les versets du Coran. Il est placé sur un promontoire qu'entoure une balustrade d'argent massif. A son chevet, deux marchent en argent que baisent les fidèles. Auprès de lui, son fils, Sultân Valad. A sa gauche, son père, Bahâ-od-Dîn Valad, dont le cercueil  est debout. C'est ainsi, dit la tradition, qu'il mourut, s'étant levé, pendant son agonie, par respect pour le Prophète venu l'assister dans ses derniers instants.

La vision de cet homme du XIIIème siècle peut éclairer notre propre compréhension du monde d'aujourd'hui et de nous-mêmes.Avant de découvrir les grands thèmes de la pensée de la pensée de Rûmî et de son enseignement initiatique, voyons comment un grand mystique devance d'une manière incroyable les recherches les plus récentes de la science contemporaine. Songez que Rûmî affirmait au XIIIème siècle que si on coupait un atome on y trouverait un système solaire en miniature

Il est un soleil caché dans un atome : soudain cet atome ouvre la bouche.

Les cieux et la terre s'effritent en poussière devant ce soleil lorsqu'il surgit de l'embuscade.

Dès le XIIIème siècle, Rûmî dans sa vision de  l'atome rejoignait les recherches les plus récentes de la science contemporaine. Il précisait que chaque atome recelait une force capable de réduire le monde en cendres !  Parler de fission nucléaire au temps de Saint Louis peut paraître déjà stupéfiant. Or, il assurait également que notre système solaire comporte neuf planètes, alors qu'à son époque on n'en connaissait que sept et que la neuvième n'a été découverte qu'en 1930. C'est pour cela que le nombre de derviches tourneurs, dans la danse qui symbolise la ronde des planètes autour du soleil, est toujours 9 ou un multiple de 9.

Grand visionnaire, Rûmî n'en restait pas là... Quatre siècle avant Galilée, il parlait de la pluralité des mondes. Il ajoutait même que chaque habitant de cette petite planète Terre est soumis aux influences des astres : la lune agit sur la fécondité des femmes, sur les marées, le soleil agit sur la végétation, sur les animaux mais, disait-il, tout le monde sait cela. Ce qu'on sait moins, c'est que le geste le plus infime d'un être humain est perçu dans des systèmes solaires appartenant à des univers non encore découvertes.

La vision de cet homme dont la cohérence est confirmée par les récentes découvertes scientifiques peut surprendre.

Dans les années quatre-vingt, j'ai participé à un colloque avec le grand physicien français Olivier Costa de Beauregard, qui est par ailleurs conseiller à la NASA et très préoccupé de problèmes spirituels. Il me confiait : " Vous savez, si nous, les physiciens de pointe, nous disions au grand public ce que nous trouvons, ils nous prendraient pour des fous. Par exemple, si vous touchez la tasse à café que vous êtes en train de boire, c'est perçu dans d'autres galaxies." Rûmi écrivait cela il y a sept siècles.

Si on admet volontiers que des êtres ayant atteint un tel degré de sainteté aient de fulgurantes intuitions dans le domaine religieux, on reste stupéfait lorsque l'on constate que ces visions éclairent aussi le monde scientifique. Or, si ces intuitions témoignent de l'inspiration, de l'illumination de Rûmi, leur portée est d'ordre métaphysique. La capacité de telles visions nous renvoie à la place de l'homme dans la Création :

Tous les phénomènes sont le miroir dans lequel

Dieu se manifeste : 

Ou bien la lumière de Dieu est le miroir, et les phénomènes les images (reflétées en lui).

Aux yeux du véritable adepte à la vue perçante

Chacun de ces deux miroirs est le miroir de

l'autre.

Selon la conception de Rûmi :

Le mystère de la nature... est tout entier exprimé dans la forme humaine. L'homme a été produit du fond du plus lointain passé de la planète; il porte en lui, comme sa propre destinée, toute la destinée de la planète et avec celle-ci la destinée de l'univers infini... L'histoire entière du monde sommeille en chacun de nous.

L'homme, dit-il, est comparable à un isthme, situé entre deux ordres de réalité. Lorsqu'il est parvenu à sa pleine stature spirituelle, devenu intermédiaire entre Dieu et le monde, il peut être considéré comme détenant une double fonction: forme totalisante des attributs Divins, il actualise la conscience Divine; devenu miroir, il capte l'image de Dieu et la renvoie aux autres miroirs tournés vers lui. Il devient le témoin de Dieu. C'est pourquoi Rûmî déclare : " Dieu n'a créé sur la terre ni dans les cieux sublimes rien de plus mystérieux que l'esprit de l'homme."

Par ailleurs, l'homme est un microcosme, un résumé de l'univers qui est le macrocosme :

Le ciel et la terre sont la demeure des corps et des volumes. Les corps, qui sont l'enveloppe de l'homme, sont la demeure des âmes, de la raison et de la foi. Le corps est la demeure du sens profond et l'univers est la demeure de la forme. La forme est limitée, le sens profond illimité.

Dans sa vision du monde, l'homme n'est qu'une étape provisoire sur l'échelle de l'Être qui part de la pierre et passe par le végétal et l'animal. Cette évolution ne s'arrête pas là: elle est sans fin. En s'exprimant ainsi, il devance là aussi de sept siècles les découvertes les plus récentes sur l'évolution. A Konya, il venait étudier les étoiles dans un petit palais; il disposait des instruments d'alors: un astrolabe et un bassin d'eau comportant une sorte de clé de sol en pierre assurant l'écoulement de l'eau et lui permettant de rester absolument plat, sans rides, tel un miroir. Il voyait le monde s'y refléter.

Le miroir est un des thèmes centraux de la pensée de Rûmî qui considère l'homme comme l'astrolabe de l'univers. Nous retrouverons ce même symbolisme quand nous parlerons de cette fameuse danse cosmique du Samâ qui est caractéristique de son ordre, où les derviches tournent sur eux-mêmes comme les planètes autour du soleil : quatre siècle avant Galilée, Rûmî sait que ce n'est pas le soleil qui tourne autour de la terre mais l'inverse, prescience qui confirme les intuitions évoquées précédemment.

Il s'agit de la vision globale d'un univers sacralisé où tout parle. Ainsi, pour lui, les platanes ont des feuilles semblables  à des mains qui applaudissent quand on joue de la musique ou quand on danse. Il ressemble beaucoup à saint François d'Assise, mort en 1226, quand Rûmî avait dix-neuf ans, par sa tendresse pour les animaux. On rapporte des histoires charmantes: un jour il faisait un sermon; il il était près d'une mare et les grenouilles qui coassaient le gênait . Il s'est tourné vers elles et leur a dit :" Laissez-moi tranquille, laissez-moi parlez." Les grenouilles aussitôt se sont tues. Il a achevé son discours. Après quoi il s'est tourné de nouveau vers les grenouilles : " Maintenant vous pouvez recommencer à coasser si cela vous fait plaisir." Un autre jour,un homme menait un boeuf à l'abattoir. Le boeuf regarda Rûmî qui intervint : " Non, je ne veux pas qu'on le tue."  Et il le fit relâcher. Une autre fois, il demanda à un de ses disciples, qui cite cette histoire dans son livre de souvenirs, d'aller acheter un plateau de halvâ, des sucreries. Ce disciple fut très étonné, parce que Rûmî, comme tous les grands mystiques, était connu pour être ascète. Le disciple fit la commission et remit le plateau de halvâ à son maître. Curieux, il suivit ce dernier qui s'arrêta devant une chienne couchée avec ses petits et lui donna les bonnes choses à manger. Conscient d'être suivi, il se retourna vers son disciple: " Tu vois cette pauvre chienne, elle n'osait pas quitter ses petits de peur qu'on les tue pendant qu'elle allait chercher à manger, elle mourait de faim. Et j'ai entendu son appel." Rûmî n'éprouvait ni mépris, ni dédain pour personne et témoignait à toutes les créatures la même mansuétude.

à suivre...

Source: Rûmî - Le chant du Soleil (Eva de Vitray)

 

 

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